mardi 15 novembre 2011

Que vaut un livre ?

Le plan de rigueur annoncé la semaine dernière par le 1er ministre François Fillon a quelque peu mis en ébullition les blogueurs littéraires et autres amis du livre (entre autre, car nos petits copains cinéphiles n'étaient pas forcément ravis non plus, et ils ne sont pas les seuls, mais nous ne sommes pas là pour parler politique, je m'égare).

La TVA sur les livres va donc passer de 5.5% à 7% à partir du 1er janvier 2012. Autrement-dit, dépêchez-vous si vous comptez acheter quelques romans, autant le faire avant la date fatidique.

Mais si l'on "relativise", de combien nos romans vont-ils être augmentés ? Pour un poche classique aux alentours de 5€, vous paierez 8 cents de plus, pour un poche du genre Milady qui coûte 12€ vous devrez sortir du porte-monnaie 13 cents supplémentaires, et pour les déjà ultra chers grand formats à 20€ il y aura donc une augmentation de 22 cents.

Ainsi, pour la majorité des lecteurs cela passera totalement inaperçu. Même pour les grands lecteurs (plus de 20 livres par an) cela ne leur rajoutera en moyenne pas plus de 5€ de frais supplémentaires sur une année.

Mais qu'en est-il des métiers du livres ? Je ne connais pas assez bien tous les tenants et aboutissants, mais voici un extrait d'un communiqué du syndicat de la librairie française qui est assez clair:
« Si les libraires devaient absorber sur leur marge la hausse de la TVA à ce qui est un risque très réel sur les millions de livres qu’ils ont en stock à, cela reviendrait à diminuer la valeur de leur stock de 1,5 % et à faire passer leur bénéfice de 0,3 % du CA en moyenne à 0,2 % ! Une majorité des librairies se retrouveraient ainsi en perte et menacées de fermeture. »
En gros, les stocks menacent les libraires car eux ont payé la TVA mais les clients pas encore! Va-t-on arriver à la politique du zéro stock comme dans certaines industries, dont l'automobile par exemple ? (le lean manufacturing pour les curieux... Sans rire ce n'est pas applicable tel quel pour les libraires, car cela reviendrait à avoir des rayonnages vides en attendant le client!)

Cependant aujourd'hui mon problème n'est pas le danger qui menace les libraires (enfin si, mais pas directement), aujourd'hui je veux surtout savoir : que vaut un livre ? Où va l'argent que je donne quand je paye mon libraire ? Pourquoi les livres valent déjà aussi cher ? Pourquoi valent-ils le même prix partout ? Qu'en est-il des livres numériques ?

Nous nous baserons après l'année 1981 et donc après la plus que très importante loi Lang. C'est cette loi qui régit une partie du prix, et notamment le prix unique du livre (papier). Que vous achetiez sur internet, en Fnac ou en librairie, le même livre vaudra le même prix, avec une réduction pouvant aller jusqu'à 5% (carte de fidélité etc.) Voici pourquoi on a une harmonisation des prix, pour les revendeurs soumis aux lois françaises évidemment (le site thebookdepository récemment acheté par Amazon par exemple n'y est pas soumis). Ce prix unique est fixé par l'éditeur. Le 26 mai 2011 cette loi du prix unique a été adoptée pour les supports numériques également. Adieu les promos Milady à 4€ bien qu'il y ait toujours moyen d'effectuer de manière exceptionnelle des remises, soldes etc.


Mais qui va vraiment être touché par cette hausse ? La chaîne du livre contient l'auteur qui écrit le livre, l'éditeur qui choisit, met en page, imprime et diffuse, et enfin les métiers de la distribution et de vente. (Nous avons vu que le lecteur sera peu impacté)

Sur le prix d'un livre, 10% (en fait entre 8 et 12% suivant le contrat) du montant des ventes vont à l'auteur. Imaginez donc qu'un livre de 10€ va mettre 1€ dans la poche de l'auteur, et que si c'est un tirage moyen (7500 exemplaires) ça lui fera donc 7500€ (répartis sur le temps de la vente de ces exemplaires, et surtout en attendant de publier le bouquin suivant!).
Cependant il faut rajouter, en plus de ces droits sur les ventes, les profits nets qui se divisent à 52%/48% pour respectivement les auteurs et les éditeurs. Pour savoir si un auteur gagne bien sa vie, je vous renvoie à "la question du mois" de novembre de l'auteur jeunesse Christian Grenier ici.

Environ 17% du prix vont à la fabrication (imprimeur, relieur...) soit sur notre livre étalon de 10€ : 1,7€ mais lui ne touchera rien sur les bénéfices nets.
L'éditeur quant à lui touche près de 20%, mais s'il est également diffuseur cela peut grimper jusqu'à 30% du prix du livre (entre 2€ et 3€ par livre de 10€). Il touche également une partie des bénéfices nets, mais il a de nombreuses charges à assurer en parallèle.
Le distributeur touche dans les 13% (il est rémunéré sur la base des allers et retours des livres, sur le prix hors taxe) et le revendeur final (libraire par exemple) prend le reste, ce qui peut aller jusqu'à 40% du prix du livre soit 4€, mais cette part peut être très inférieure (25%).
Source



Parmi ces acteurs, qui va payer la TVA ?
« la taxe sur la valeur ajoutée est perçue au taux de 5,5 % en ce qui concerne les opérations d’achat, de vente, de livraison, d’importation, d’acquisition intra-communautaire, de commission, de courtage ou de façon portant sur les livres, y compris leur location »
Il n'y a donc que le libraire qui va payer la TVA, c'est lui qui va accumuler ces petits centimes par milliers ce qui risque de plomber ses comptes. Attention cependant, les libraires vont également pouvoir se faire reverser cette TVA par les impôts, n'oubliez pas que ce sont des professionnels. A condition cependant d'avoir vendu... ce qui nous ramène finalement au débat du stock! Notre serpent se mord la queue, et les libraires les doigts...

Et moi, suis-je prête à payer un livre ce prix-là, et à accepter ce découpage auteur/éditeur/revendeur ? A vrai dire je n'ai guère le choix. Il n'existe actuellement pas de moyen démocratisé pour rétribuer plus les auteurs ou les libraires. A l'inverse de la musique où certains artistes proposent leurs albums en téléchargement direct depuis leur site (et donc quasiment 100% du prix va dans leur poche) il n'existe pas encore d'auteurs qui proposent directement leurs romans numériques via leur website (auteurs un minimum connus j'entends, car il m'est arrivé de télécharger des oeuvres d'auteurs qui cherchent justement à se faire voir via les plateformes numériques moyennant un prix dérisoire voir nul). Quand aux libraires, leur part va avoir tendance à décroître vu l'essor du numérique et en tout cas ne peut pas augmenter, à moins qu'il ne soient eux même éditeurs/distributeurs.

Le prix en lui même, fixé par les éditeurs, n'est pas près de bouger! A la rigueur il peut augmenter, mais même le numérique à tendance à être "trop cher" (c'est l'impression qu'on en a...) et pourtant... Et pourtant il faut signaler que l'augmentation du prix du livre est en général moins élevée que l'augmentation générale des prix à la consommation. Sans compter qu'un livre s'achète une fois mais, tout comme un CD ou un DVD, peut se lire plusieurs fois, se prêter etc. Le coût d'opportunité du livre est donc très élevé, plus élevé par exemple qu'une place de cinéma qu'on peut payer jusqu'à 10 euros pour 2 heures de temps... Le livre est une sorte d'investissement, et le coût qu'on veut y mettre dépend de la "rentabilité" qu'on veut en tirer. Dur de croire qu'en fait on achète un livre comme si c'était un investissement, mais en fait notre cerveau effectue lui même le calcul. Est-ce que l'envie de lire ce livre, le temps que ça me prendra, les possibles relecture valent les X€ dudit bouquin?
Car on n'achète pas un roman comme on achète de la nourriture. Ce n'est pas vital, et on ne va pas acheter un livre A juste car il est moins cher que le livre B. Le contenu du livre est nettement plus important que le prix lui-même, et les raisons d'achats peuvent être:
-le résumé attractif
-l'auteur est connu
-le roman a gagné un prix
-on nous l'a conseillé
-la couverture est jolie
-j'ai confiance en cette maison d'édition etc.
Mais sûrement pas parce que : "oh il ne coûte que 12€!"...La seule fois où je n'ai pas acheté un livre à cause du prix c'est le dernier Harry Potter (que j'ai déjà en anglais), en version poche, 13 euros! Là non, je n'ai pas investi ! Ou encore quand la version anglaise coûte 4€ contre 15€ la version française... Mais c'est de la concurrence déloyale alors ça ne compte pas :)

En conclusion, les livres valent actuellement la valeur de leur coût d'opportunité, c'est à dire cher mais c'est également le prix que les lecteurs sont prêts à mettre. Un équilibre éditeur/lecteur qui, finalement, fait payer les pots cassés au revendeur et ce d'autant plus avec l'augmentation de la TVA. Je pensais que le numérique ferait baisser les prix mais il n'en est rien, on trouve parfois des versions numériques plus chères que leurs homologues en papier! Reste à voir si la "rigueur" au programme des années futures peut faire baisser la demande et donc le prix... ce qui sans nul doute reviendrait à faire baisser la part du revendeur. Le serpent n'a pas fini de se mordre la queue...


Ou sinon, si vous êtes auteur, vous pouvez adoptez une librairie...

sources * * * * * * * * * * 

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